11 septembre 2012

7 minutes


Je sors de la droguerie. Triomphante, légère, riche. Vraiment riche.
"Vous avez reçu mes crayons ?"
La dame de la droguerie, qui présente tout d'une dame de droguerie, ne sachant pas très exactement ce que ce "tout" contient mais que je classe dans la rubrique des évidences inexplicables... cette dame, donc, qui n'aurait pu tenir ni boulangerie, ni station service, ni bordel mais juste une droguerie de centre-ville, s'accroupi et disparu derrière son comptoir pour chercher mon trésor à 9 euros, enfoui dans ce que je pris plaisir à imaginer comme un joyeux fouillis, un bazar organisé. Il y a des maîtres dans cet art. J'y excelle presque, d'ailleurs.
"Les voici."
Je lui tends deux cahiers dégottés entre les savons de Marseille, aux nombreuses propriétés, dont je ne dresserai pas la liste aujourd'hui (cause hors sujet), et les piles de rouleaux adhésifs jaunis qui ne se décollent pas des vitres, une fois la troisième couche de peinture sèchée, tant ils doivent dormir sur cette étagère depuis que la dame de la droguerie est debout derrière son comptoir.
"Vous ajouterez ceci, s'il vous plaît."
Je sors un billet de 10 euros et quelques pièces. Le prix d'un bonheur simple. Je la regarde envelopper mon butin dans un papier de soie, aussi blanc que les rouleaux adhésifs sur l'étagère. Ses gestes sont si délicats que j'ai pensé qu'elle savait. C'est ça, elle savait que c'était un trésor. Une dame de droguerie doit avoir le goût des bonheurs simples pour prétendre à ce titre.
"- Merci, à bientôt.
 - Très bonne fin de journée madame."
Je le tiens. Mon trésor. 4 crayons, allant de la pointe la plus fine à la plus épaisse et 2 cahiers, un violet et un orangé. Je ne saurais vous argumenter cette combinaison de couleurs tant je l'ai habituellement en horreur. L'harmonie de tons parfaite de demoiselles d'honneur endimanchées. Pourtant, à ce moment, à quinze heures vingt, dans la droguerie de la grande rue, je les ai trouvé jolies, ces couleurs.
Je le tiens, ce maigre sac plastique froissé, tiré du joyeux fouillis de derrière le comptoir de la dame de la droguerie. Déjà les idées affluent. Ecrire. Oui, mais quoi ? Un roman ? Pas le temps. Une nouvelle ? Tiens, un concours de nouvelles, c'est bien ça. Pourquoi pas le prix Goncourt ? ou plutôt celui des lectrices de Elle (avec un peu de chance, j'aurai un an d'abonnement offert) ? Dessiner aussi. Surtout. Un livre pour enfants, que j'écrirais et illustrerais. Quels mots aiment les enfants ? Je suis pressée de rentrer.
Je sors de la droguerie. Triomphante, légère, riche. Vraiment riche. J'ai à peine le temps d'ouvrir mon parapluie qu'une voiture déboulant à toute vitesse me fit un lavage à froid sans essorage. Je me trouve moins triomphante, je suis trempée. Je déteste la sensation d'un jean mouillé sur mes mollets. Vraiment, je déteste.
Les bonheurs simples ne dépassent pas 7 minutes.