31 octobre 2012

Ces gens-là





Ces gens-là ne parlent pas. Ou pas vraiment. Ou pas comme nous.
Nous ne les comprenons pas. Ou pas tout à fait. Ou ne ne le voulons pas.
Voilà trois semaines que j'accompagne ces "malades" comme on les appelle. Malades de la différence, ou de l'indifférence. Trois semaines que je les observe, qu'ils m'observent. Fascinante expérience. Effrayante, troublante. Tout comme eux. Schizophrénie ou paranoïa loin des clichés hollywoodiens... La vraie vie. Loin de la mienne. Leur vraie vie, ou presque. Comme celle de Monsieur B. Monsieur B. a mon âge. Il est le neveu de Coluche, il possède 40 voitures de sport au moins, toutes à l'abri dans son garage. Monsieur B. a un cancer de la gorge et sait qu'il est suivi parce qu'il n'entend pas bien. Monsieur B. n'aime pas prendre le bus à cause des espions envoyés par la CIA qui le surveillent, notamment cette dame au manteau noir qui l'a en filature depuis quelques semaines. Elle n'est pas très douée, dit-il, puisqu'il l'a repérée.
 J'aime discuter avec Monsieur B. Monsieur B. a mon âge, pas un sou et pas de moyen de transport. Il vit avec son père alcoolique à la campagne, la vraie. Monsieur B. entend très bien et s'il est suivi, ce n'est pas par la dame au manteau noir qui devrait prochainement se faire virer de la CIA pour cause d'incompétence, mais pas l'équipe soignante de psychiatrie. C'est un exemple. C'est un de ceux qu'on essaie de maintenir à la limite, qu'il ne s'éloigne pas trop. Un de ceux qu'on essaie de ne pas perdre tout à fait, qu'on essaie de maintenir dans une réalité, la notre. Il est parfois doux de s'immiscer dans la leur. Etrangeté.
Je ne souhaite pas devenir la nièce de Madonna, ni avoir 40 paires de Louboutin à l'abri dans mon dressing (comment puis-je écrire une telle absurdité ??? En fait, c'est ma banquière qui s'y oppose...). Je ne souhaite pas avoir un cancer du sein, ni être poursuivie par des agents secrets (quoique Daniel Craig...) mais je me dis que vraiment, on ne choisit pas ce métier par hasard.

27 octobre 2012

Madame Bouche Pincée

Je suis dans le sens de la marche. Je préfère. Peut-être ma voisine aurait-elle préféré aussi ? Cela aurait-il participé à la dérider un peu ? Je n'en suis pas si sûre. Je suis impressionnée par les capacités de ses zygomatiques à rester en mode "bouche pincée" même en dormant. Seuls ses soupirs, incessants, bénéficient d'une trêve temporaire. Soupir de voir que quelqu'un s'est assis à sa place, soupir de ne pas trouver de place pour son sac, trop gros, à ses pieds trop grands, soupir pendant sa lecture de Marianne, soupir lorsqu'elle rattrappe, in-extrémis, sa bouteille d'eau glissant de sa tablette, 6 fois au moins avant de se résigner à la ranger dans son sac, en soupirant. Evidemment. Dire que même cette malheureuse bouteille a tenté de prendre la fuite pour ne plus être bue par ses lèvres crispées. En vain. Madame Bouche Pincée ne respire pas, elle soupire. Insoupiration, exsoupiration. Ce doit être fatigant d'être exaspérée de tout. Je heurte son pied trop grand. Elle ouvre un oeil. Son regard aussi avenant que son sourire m'est adressé. Je m'excuse. Sa paupière se referme en même temps qu'elle lâche un énième soupire. J'esquisse un sourire de gloire : j'ai gagné un soupir de Madame Bouche Pincée.

11 octobre 2012

Pivoine

Les Pivoines disparaissent chaque hiver pour réapparaître de plus belle chaque printemps.

Fleuriste. Oui, elle voulait être fleuriste. Pourtant, elle ne l'était pas. Pas encore. Elle était là, assise sur le même banc que moi. Assise à attendre. L'attente. Je n'aime pas l'attente, cette attitude passive, inconfortable. L'attente me rend stérile, me fige. Celle de la salle d'attente à l'odeur aseptisée, celle d'une lettre en deux jours ouvrés qui ne vient pas, celle de la cuisson des madeleine, délicate au passage. Celle, surtout, d'un père qui n'arrive pas le samedi, et celle du dimanche soir quand je sais qu'il me rendra. Simple contrat de location. Nous attendions donc depuis bientôt trois ans. Ce que nous attendions n'avait rien d'une carte postale, ni d'un feu qui passe au vert. Quoique. Nous étions bloquées au feu rouge depuis trois ans, ou plus. Oui, nous attendions de traverser. Non. En fait, nous traversions déjà. Nous attendions d'atteindre le trottoir d'en face. En somme, cela n'avait rien d'une attente puisque l'idée de traverser la voie induit celle du mouvement, à la recherche de la nôtre. Et plus nous avancions, plus nous savions. Nous savions qu'il nous faudrait encore un peu de temps. Mais les fleurs prennent le temps de fleurir, les rêves celui d'y croire. Nous y croyons, n'est-ce pas ?
Nous entrons doucement dans l'hiver. Le printemps, ce n'est pas si loin.

3 octobre 2012

Confidences


Trois jours de "médiation artistique".
Lorsque notre formatrice nous a annoncé le programme, j'étais, avouons-le, plutôt sceptique. Je me voyais déjà faire des trucs bizarres avec des pots de peinture premiers prix, sous la coupole d'artistes ratés convertis en "explorateurs du soi" via le coloriage.
Certes, il y eut des pots de peintures mais pas de premiers prix. Il y eut des artistes mais loin d'être ratés. Et il y eut, surtout, ce quelque chose d'imperceptible, auquel je ne croyais pas, qui me fit lâcher prise et partir à la conquête du "moi". Vaste programme...
Nous arrivons au terme de ces trois jours. Trois jours d'un remue-méninges plutôt chaotique. Bref. "Juste un dernier exercice avant de nous quitter", nous annonce Jacques. Jacques, homme approchant la cinquantaine, cheveux grisonnants, faisant preuve d'une sérénité absolue dans ses mots, sa posture, sa façon de se mouvoir, le regard qu'il pose sur les choses et nous autres petits explorateurs en herbe de l'intérieur. Jacques, qu'on aimerait emporter avec soi et sortir tel un Jocker à chaque épreuve que que nous traversons tant nous savons qu'il trouverait les mots, les bons mots pour faire face et avancer. Bien que j'aime assez cette idée, je sais que nous quittons Jacques dans, à peu près, une demi-heure et que je ne le glisserai pas dans mon sac à mains.
"Il s'agit d'un travail d'écriture." Chouette. J'attends les consignes.
"Vous êtes entrés en formation il y a bientôt trois ans. Durant ces trois années, il y a eu, j'imagine, des remises en question, des doutes, des phases émotionnelles contrastées... Faîtes un bilan de ces trois années et, en qualité de ce que vous êtes devenus aujourd'hui, écrivez une lettre à celle que vous étiez lorsque vous avez entamé cette formation."
Silence. Long silence. Il nous reste vingt minutes. Je sors mon cahier aubergine et mon feutre de la pointe la plus fine, celui des grandes occasions. Je me suis surprise à ne pas réfléchir. J'ai accouché de ces quelque lignes comme d'une évidence. Comme si elles ne demandaient qu'à être sorties pour mieux être lues. Pour ne plus être fuies.


Les voici :

 Je commence à savoir qui tu es. Je commence à comprendre pourquoi tu es entrée dans cette formation. Bien sur, tu n'avais pas la moindre idée du sens de ta démarche. Tu parvenais même difficilement à argumenter les motivations de ta présence face au jury. Jury que tu n'as d'ailleurs pas convaincu. Enfin, pas complètement. 73èeme sur liste d'attente. Tu as laissé le destin s'occuper du reste. Le téléphone a sonné la veille de ton anniversaire : "Vous êtes admise."Il n'y a pas de hasard.
Il a fallu du temps pour que tu comprennes ce choix professionnel. Il a fallu que tu comprennes que prendre soin des autres, c'était la fuite. Ne pas te laisser de place, en somme. Il a fallu que tu apprennes à en faire. Et tu l'as si bien fait que tu es sortie de ton sommeil. De ce mode "veille"pendant lequel tu avais fait bien plus que t'oublier. Tu t'étais éteinte. Le réveil fut brutal. Salvateur, sans doute. Mais à quel prix ? Celui d'une famille éclatée, de doutes, de frustrations, de pleurs. Le prix de ta sérénité, celui de ta liberté. Liberté de penser, de faire, de choisir.
Je sais aujourd'hui que tes convictions ont grandi, ont mûri. Qu'il ne s'agit pas d'un simple choix professionnel mais d'un engagement personnel qui t'a coûté autant qu'il t'apportera. Tu as retrouvé tes envies et tes rêves d'avant. Tu auras gagné le combat quand tu auras gagné confiance en toi.

J'oubliais, ces trois jours ont achevé de me convaincre que tu as besoin d'un ailleurs pour pleinement te réaliser. Bien sur, je le savais mais les larmes qui ont coulé ces jours-ci m'ont sommée d'arrêter d'arrondir les angles. Tu sais, ta spécialité. Suis ton intuition, il n'y a pas de hasard. Fais de ta vie la tienne, et ça commence maintenant.

Ca, c'est fait. C'est bon, c'est l'heure ?  Comme une envie de partir. Trois jours, c'est bien.

11 septembre 2012

7 minutes


Je sors de la droguerie. Triomphante, légère, riche. Vraiment riche.
"Vous avez reçu mes crayons ?"
La dame de la droguerie, qui présente tout d'une dame de droguerie, ne sachant pas très exactement ce que ce "tout" contient mais que je classe dans la rubrique des évidences inexplicables... cette dame, donc, qui n'aurait pu tenir ni boulangerie, ni station service, ni bordel mais juste une droguerie de centre-ville, s'accroupi et disparu derrière son comptoir pour chercher mon trésor à 9 euros, enfoui dans ce que je pris plaisir à imaginer comme un joyeux fouillis, un bazar organisé. Il y a des maîtres dans cet art. J'y excelle presque, d'ailleurs.
"Les voici."
Je lui tends deux cahiers dégottés entre les savons de Marseille, aux nombreuses propriétés, dont je ne dresserai pas la liste aujourd'hui (cause hors sujet), et les piles de rouleaux adhésifs jaunis qui ne se décollent pas des vitres, une fois la troisième couche de peinture sèchée, tant ils doivent dormir sur cette étagère depuis que la dame de la droguerie est debout derrière son comptoir.
"Vous ajouterez ceci, s'il vous plaît."
Je sors un billet de 10 euros et quelques pièces. Le prix d'un bonheur simple. Je la regarde envelopper mon butin dans un papier de soie, aussi blanc que les rouleaux adhésifs sur l'étagère. Ses gestes sont si délicats que j'ai pensé qu'elle savait. C'est ça, elle savait que c'était un trésor. Une dame de droguerie doit avoir le goût des bonheurs simples pour prétendre à ce titre.
"- Merci, à bientôt.
 - Très bonne fin de journée madame."
Je le tiens. Mon trésor. 4 crayons, allant de la pointe la plus fine à la plus épaisse et 2 cahiers, un violet et un orangé. Je ne saurais vous argumenter cette combinaison de couleurs tant je l'ai habituellement en horreur. L'harmonie de tons parfaite de demoiselles d'honneur endimanchées. Pourtant, à ce moment, à quinze heures vingt, dans la droguerie de la grande rue, je les ai trouvé jolies, ces couleurs.
Je le tiens, ce maigre sac plastique froissé, tiré du joyeux fouillis de derrière le comptoir de la dame de la droguerie. Déjà les idées affluent. Ecrire. Oui, mais quoi ? Un roman ? Pas le temps. Une nouvelle ? Tiens, un concours de nouvelles, c'est bien ça. Pourquoi pas le prix Goncourt ? ou plutôt celui des lectrices de Elle (avec un peu de chance, j'aurai un an d'abonnement offert) ? Dessiner aussi. Surtout. Un livre pour enfants, que j'écrirais et illustrerais. Quels mots aiment les enfants ? Je suis pressée de rentrer.
Je sors de la droguerie. Triomphante, légère, riche. Vraiment riche. J'ai à peine le temps d'ouvrir mon parapluie qu'une voiture déboulant à toute vitesse me fit un lavage à froid sans essorage. Je me trouve moins triomphante, je suis trempée. Je déteste la sensation d'un jean mouillé sur mes mollets. Vraiment, je déteste.
Les bonheurs simples ne dépassent pas 7 minutes.





5 août 2012

Préambule (suite)

On disait que les princesses des comptes de fées avaient troqué leur beau miroir contre un KitchenAid multifonction, leur longue chevelure dorée contre un carré sous un casque bol, leur sommeil de cent ans contre un bac+5...
On disait qu'on était rebelle, un peu nomade même, mais princesse quand même...
J'ai quitté le royaume et je me dis qu'il est dur d'être une princesse des temps modernes... et pourtant, je me dis aussi...

On disait que je croyais encore aux comptes de fées...